Mon premier grand voyage, c’est au Vietnam que je l’avais fait.
Là-bas, je m’étais lié à un poète dissident. Plusieurs fois, j’ai tenté d’écrire son histoire. Sans y parvenir.
La maladie est aussi un voyage, répète-t-on.
Il est illusoire de croire que dans une chambre on se souvient de sa vie, et je doute qu’au moment de mourir on se remémore tout en accéléré.
Il y a des souvenirs qui n’ont pas la force de nous accompagner jusqu’au bout, on ne peut prendre que très peu de bagages avec soi. Et à partir d’un certain point, qui n’est pas encore la mort, plus aucun. Ce point-là, d’autres en ont parlé. Je me sens proche d’eux désormais. Mes frères, oui, mes frères. Comme ce vieux poète.
Il y a aussi des souvenirs qui indiquent ce qu’on doit faire.
Dans mon île, c’est la promesse à ce vieil homme qui me taraude surtout. Culpabilité ou désir d’être en paix : si je dois mourir bientôt, me dis-je, qu’au moins j’aie pu accomplir cela…
Editions Verdier, 2013
Une promesse est au cœur de ces tableaux : celle, faite par un jeune homme à un vieux poète dissident, d’écrire son histoire. Les années les ont éloignés, la promesse n’a pas été tenue. Le sentiment de cette dette resurgit quand le jeune homme se découvre gravement malade. Il s’efforce alors de s’en acquitter.
Se survivre clôt un cycle d’écriture, dont l’ambition a été de faire du moi malade un espace littéraire.
Ce livre est dédié à la mémoire de Hoang Câm.
Se survivre par Thierry Cecille (Le Matricule des anges, avril 2013)
La maladie serait-elle la dernière forme de destin capable, sans crier gare, de nous confronter à ce qui nous dépasse et au bouleversement intime le plus profond ? Le mot est là, d’emblée, dès la première page : le cancer. Sitôt qu’il est dit, celui à qui on l’annonce passe de l’autre côté d’une frontière invisible mais radicale : il n’est plus des nôtres. Patrick Autréaux le formule dans une langue métaphorique qui va être, osons l’image, le scalpel qui lui permet de disséquer son propre corps : « J’étais devenu un habitant de ce rien qui entoure tout ».