Kateb Yacine, la révolution dans la révolution

Les Lettres françaises, n°169, 2019

à propos de Le Poète comme un boxeur de Kateb Yacine

« Faire confiance à la subjectivité qui a bourlingué, s’est forgée, s’est patinée ; faire confiance au choix qui déplace les livres sur le bureau ou la table de chevet, au geste qui fait passer d’une pile à l’autre, ou chamboule la pile même ; faire confiance au hasard dans les librairies ou chez les bouquinistes, au hasard tout court. J’aperçois dans une vitrine le nom Cossery et, par glissement, c’est la voix pointue de Choukri, celle hachurée et chuintante de Genet, celle discordante de Guyotat, que j’entends. Auxquelles se superpose celle de Yacine.

Rentré chez moi, je rouvre Le Poète comme un boxeur. La voix a le calme implacable des justes éprouvés, contemporaine et ancienne. Familière aussi.

C’est que sa silhouette se double de celle d’un vieux poète vietnamien que j’ai connu autrefois. Ces deux-là avaient des points communs : la lutte contre les colonisateurs ; la langue française quand elle « se retourne contre ceux qui l’utilisent comme un moyen d’oppression », écrit Yacine ; la tendresse pour les petites gens analphabètes qui récitent des poèmes ; l’opposition à un gouvernement muselant la liberté. Et puis la rééducation après la guerre de libération et la mort sociale pour l’un, l’exil à plusieurs reprises dans « la gueule du loup » et l’itinérance pour l’autre.

Si je les associe, c’est aussi parce que Yacine écrivit en pleine guerre du Vietnam, L’homme aux sandales de caoutchouc – mais sans oublier que, s’il avait été vietnamien, il aurait eu un sort semblable à celui de Hoàng Câm et des rétifs de cette génération. Lien arbitraire entre eux qui ne se sont pas connus, et que je noue peut-être parce qu’ils ont écrit en français. Et Yacine encore : « on ne peut mettre la langue sous un drapeau ». Deux écrivains, dramaturges et poètes, et qui combattent pour la poésie au temps de la guerre, puis quand la répression idéologique s’organise, quand les soldats démobilisés découvrent que la liberté ne sera pas aimée… »

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