pour la MEL, 2018 (écrit à l'occasion de la COP 21, 2015)
On nous prévient qu’un nouveau continent est apparu. Dans les zones subtropicales océaniques, les courants marins composent de vastes anneaux qui ramènent tout ce qui y flotte vers leur centre. C’est ainsi que grandit un immense tourbillon d’ordures concassées par les vagues, dégradées par le sel et le soleil. Soupe d’œufs et perles de polyéthylène, méduses vinyliques, larves et vers de polyamide, crevettes et diatomées acryliques, krill d’aminoplaste réticulé, pieuvres de polyuréthane. Plutôt qu’un territoire, une profonde masse visqueuse. Le cadavre synthétique de l’humanité. Le nouveau continent est une charogne, qui n’en finit pas de se décomposer.
Une photographie de l’artiste Chris Jordan. Îles de Midway. Archipel d’Hawaï. Pacifique nord. Cœur du gyre océanique.
La dépouille d’un oiseau marin, fourrée de cylindres tubes parallélépipèdes colorés. Entre les os flûtés, le crâne au bec entrouvert, des vertèbres, des phalanges, entre les plumes déplantées, sont amassés des bouchons à vis bleus jaunes rouges, une petite cupule rose, un manche de brosse à dents mauve, un fragment de filet maillé vert, un œuf de mousse orange, une pelote de lignes transparentes, des lambeaux de sacs plastiques gris. Ce n’est pas un attirail de sorcier, ni une installation d’arte povera. Mais un albatros du nouveau continent. Mort de faim, l’oiseau a le ventre farci de trompe-l’œil. Prince des nuées devenu poubelle.