Faisanderie de Sénart, 2010
Impressions d’algues qui ondulent, d’usnées pendantes ou de lichens proliférant ; de terreaux mouillés, de marnes roses, d’argiles violines ou de beiges glaiseux ; d’humus qu’on a fouillé, d’écorces ou de feuilles décomposées, dont pour un peu on sentirait l’odeur. Fragments de branches, mousses noyées ou filandres ponctuées de rosée ; boues de minéraux rares, glaçures raffinées par le hasard, jaspures ou concrétions de débris : nous sommes devant des états incertains, évoluant dans un entre-deux, dans les eaux de quelque rêve où la matière est méandres, paysages minuscules et éphémères ; où la toile devient mouvance et source, sans qu’on y puisse cependant distinguer un quelconque « c’est cela ».
Dans cet informe tumulte, ralenti et obstiné comme le mouvement des eaux dormantes, dans cet état propice à une suspension de l’esprit, on dérive porté par des flux indistincts, glissant, surnageant, ne voguant sur aucun vaisseau, vers aucun port, mais immergé dans une substance sans bord, sans fond, au sein de laquelle on se demande si quelque chose de primordial ne se recompose pas.
Une présence à l’œuvre travaille dans la couleur et la matière même : présence sans conscience, aveugle ou s’ignorant soi-même, qui semble savante pourtant et qu’on sent habitée par une force diffuse, qui n’est pas sans inquiéter parfois.
On hante un monde de coulures et de nappes se recouvrant et se découvrant. Un état intérieur est ici en devenir.
Mares et sous-bois : lieux des rêveries, des angoisses, des apparitions aussi, feux follets et luminescences organiques, niches des larves et des fascinations d’enfants.
C’est cette ambivalence vivante que captent les toiles de L. Beatrix Spadavecchia, lorsque le monde familier laisse passer en soi un frisson : émerveillement ou malaise, aussitôt éludés par un peu de ce soleil qui traverse les hautes cimes et change la toile, en fait mouvoir les couleurs selon d’inédites combinaisons.
Et toujours cette présence, reflétant qui la regarde.